mardi 17 juin 2014

Témoignage d'une victime ayant subi une agression sexuelle dans les transports en commun: Parlons-en, agissons, et que cela cesse !




C’était un lundi matin, je partais à mon lycée et j’ai été agressée sexuellement sur le quai du RER, à Denfert, devant l’entrée du couloir des correspondances. Il y avait du monde. L’agresseur avait dans les 55 ans et n’était pas ivre, j’avais 16 ans.

Crédit photo : Ralph Morris

Je sens encore ses mains sur mon corps, sur ma tête, je vois encore ses rides et ses dents, sa bouche qui approche, je sens encore sa langue dans ma gorge. 

Les gens passaient tout près de moi, derrière, à droite et à gauche, j’entends encore leurs pas pressés, je sens encore les déplacements d’air qu’ils provoquaient, je me sens encore n’être plus que ces yeux figés sur les petits carreaux orangés des murs de la station.

Personne n’a trouvé que je valais la peine d’être secourue. 

Le temps s’est arrêté, un morceau de moi est resté là, bloqué sur ce quai.

35 ans après, je prends conscience que toute ma vie j’ai évité de poser mes pieds sur ce quai.

35 ans après, chaque fois que je traverse cette station assise dans un wagon, je plonge… dans un trou noir de ma mémoire, mon regard s’évapore: ne pas voir les petits carreaux orangés des murs de la station.

35 ans après, comme des milliers de fois au cours de ma vie, je revis, encore et toujours, ce choc morcelant, déstructurant, ce trou noir, sans le savoir… je n’étais plus moi, j’avais honte, je suivais la bordure du quai, tête baissée, je me serais laissée tomber sur les rails, j’allais vers l’extrémité, je fuyais les gens, je voulais disparaitre, ce que je vivais était trop difficile, j’étais trop seule… et personne ne m’avait aidée. 

35 ans après, j’ai dû revivre pour la dernière fois, pour me réparer, pour enfin guérir, j’ai dû tout laisser resurgir: les images, les sensations, les mots perdus dans le noir glaçant, horrifiée, sidérée, dissociée… je respire, ça va aller, le sol est noir, les rails, je vais tomber, je vais m’évanouir, c’est tout noir, c’est glacé, les rails aspirent, ne tombe pas, respire, ça va aller, le sol est noir, marche, respire, je marche, je respire, le train, c’est tout noir je vais tomber, respire ça va aller, respire, monte dans le train, va t’asseoir, je monte, je m’assoie, je respire, ça va aller.

35 ans après j’ai dû revivre le cataclysme, la tornade, l’agression sexuelle du début à la fin, j’ai dû croiser à nouveau ses yeux, revoir ses bagues, ses dents en or, sentir à nouveau ses mains, sa langue, sur et dans mon corps, j’ai dû revivre ma détresse, ma lutte désespérée, j’ai dû ressentir toutes mes douleurs qui s’étaient déconnectées ce jour là sur ce quai. C’est noir et j’ai froid, j’ai vraiment froid, mon cœur a sauté. 

Aujourd’hui c’est fini, je m’en suis définitivement sortie, mes morceaux se sont rassemblés, mes neurones reconnectés à propos de ce quai… 35 ans après. 

Alors 36 ans après, quand je vois que les agressions continuent, que RIEN n’a changé, une envie de crier, de hurler me saisit : « tous les jours, des femmes, adolescentes ou adultes, sont agressées sexuellement dans les transports… parlons-en, agissons, et que cela cesse !! »

Pour agir afin que cessent enfin ces violences, vous pouvez signez notre pétition "Stop aux violences sexuelles dans les transports en commun" .

Aucun commentaire: