mercredi 18 mai 2011

VIOLENCES SEXUELLES : HISTORIQUE DE LEUR PRISE EN COMPTE PAR LE LÉGISLATEUR, ET LEURS CONSÉQUENCES PSYCHOTRAUMATIQUES par Muriel Salmona

Article de Muriel Salmona publié en aout 2010 sur le site memoiretraumatique.org

http://memoiretraumatique.org/memoire-traumatique-et-violences/violences-sexuelles.html


HISTORIQUE

1) La prise en compte par le législateur de cette réalité des violences sexistes et sexuelles a été tardive et reste imparfaite.

Ainsi le code pénal n'a défini le viol précisément qu'en 1980, les lois de 1989, 1995, 1998, 2004 ont élargi les délais de prescription des viols et des agressions sexuelles avec circonstances aggravantes commis sur les mineurs : la prescription, antérieurement fixée à 10 ans après les faits, est passée à 20 ans après la majorité des victimes (elles ont alors 38 ans). Le délit de harcèlement sexuel n'a été crée qu'en 1992 ; le viol conjugal (http://www.cfcv.asso.fr/php/load.php?src=d6def0d307c6f911d8bf45f1d5a1c45d.pdf&mode=1) n'a été précisément reconnu, et considéré comme une circonstance aggravante, qu'en 1994, et défini précisément dans le code pénal qu'en 2006 ; l'inceste commis sur des mineurs n'a été défini comme tel dans le code pénal qu'en 2010, ainsi que la notion de contrainte morale résultant de la différence d’âge existant entre une victime de viol et d'agression sexuelle mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime.

Avant l'adoption de ces textes, les personnes victimes de ces violences ne disposaient d'aucun recours juridique. Depuis 2008, avec la résolution 1820, les Nations-Unies estiment désormais que le viol et toute autre forme de violence sexuelle peuvent constituer «un crime de guerre, un crime contre l'humanité ou un élément constitutif du crime de génocide». De facto, ces crimes deviennent donc imprescriptibles au regard du droit international, et le Conseil de sécurité appelle à les exclure du bénéfice des mesures d'amnistie prises dans le cadre de processus de règlement de conflits. Beaucoup d'associations dont la nôtre militent aussi pour que les violences sexuelles sur mineurs, particulièrement l'inceste, soient imprescriptible (voir la page de l'association Un monde à travers un regard : http://www.lemondeatraversunregard.org/rubrique,manifeste-anti-prescription,690298.htm.

2) D'autres violences sexuelles ne sont toujours pas réprimées totalement

C’est le cas notamment de celles que représentent le système prostitutionnel et pornographique, l’achat de services sexuels représentant une atteinte à la dignité et à la valeur de la personne humaine, aux droits à l'égalité entre les hommes et les femmes, et à l'inaliénabilité du corps humain et de la sexualité. L'achat de services sexuels en France n'est pas considéré comme répréhensible par la loi, seuls le sont les délits de proxénétisme, de prostitution forcée, de prostitution des mineurs, de pédopornographie et de tourisme sexuel sur des mineurs.

Depuis 1949, la France est abolitionniste en matière de prostitution, ayant adhéré à la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, votée par l'Organisation des nations unies et ayant adhéré aussi à la CEDAW, Convention de l'ONU sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. La CEDAW, dans son article 6, invitait les États à prendre «toutes les mesures appropriées, y compris les dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes leurs formes le trafic des femmes et l'exploitation de la prostitution des femmes» ; elle refuse donc toute réglementation de la prostitution (de type maisons closes, fichiers, contrôles sanitaires), condamne le proxénétisme et prévoit des mesures de réinsertion sociale pour les personnes prostituées. Pourtant la France compte près de 20 000 personnes prostituées, et la pornographie, particulièrement sur le net, est florissante avec des mises en scène de plus en plus violentes.

Les personnes prostituées dans le cadre de la traite ne sont pas considérées comme des victimes ; avec la loi LSI (loi sur la sécurité intérieure) sur le racolage même passif, elle peuvent être considérées comme des délinquantes, les "clients" ne sont pas considérés comme des auteurs de violences sauf si les personnes prostituées sont mineures (ce qui reste très rarement pénalisé), contrairement à ce qui se passe dans des pays comme la Suède et la Norvège qui les pénalisent. A ce sujet le lecteur peut télécharger la traduction française du rapport montrant que cette pénalisation de l'achat de services sexuels a eu en Suède l'effet escompté. La société reste dans son ensemble très tolérante vis à vis de l'achat de services sexuels et de la consommation de pornographie, sous le prétexte mystificateur de besoins sexuels masculins prétendument irrépressibles (les "clients" sont dans leur écrasante majorité des hommes) et du service rendu par la prostitution qui permettraient d'éviter de nombreux viols (ce qui est totalement faux). Il s'agirait donc d'un mal nécessaire et, comme dans les pays dits réglementaristes, la prostitution pourrait même être envisagée comme une profession au même titre que les autres, cf. l’article du Dr Judith Trinquart Non, la prostitution n’est pas une profession

La mesure n'est pas prise de l'atteinte à la dignité des personnes prostituées, de l'esclavage sexuel que cela suppose, de l'extrême violence à laquelle sont exposées les personnes prostituées et des graves conséquences psychotraumatiques qui en résultent, cf mon interview par Claudine Le Gardinier dans Prostitution et société

Peu de personne savent que la majorité des hommes, heureusement, n'ont pas recours à la prostitution et à la pornographie, que ceux qui y ont recours ont souvent un comportement addictif et sont fréquemment violents verbalement et physiquement, voire très violents, avec les personnes prostituées, que celles-ci subissent des violences graves, fréquentes et répétées. 71% d'entre elles ont subis des violences physiques avec dommages corporels (commis par les clients et les proxénètes), 63% ont subi des viols, 64% ont été menacées avec des armes, 75% se sont retrouvées SDF (sans domicile fixe) pendant leur parcours, 89% veulent sortir de la prostitution. De plus la majorité des personnes prostituées ont subi des violences depuis la petite enfance, avec des maltraitances graves dont des agressions sexuelles répétées pour 55 à 90% d'entre elles (63% avec en moyenne quatre agresseurs pour chaque enfant dans l'étude de Melissa Farley, réalisée en 2003 dans 9 pays sur 854 personnes prostituées) ; et il ne faut pas oublier que la majorité des situations prostitutionnelles débutent avant 18 ans (en moyenne entre 13 et 14 ans).

Les situations prostitutionnelles entraînent de graves troubles psychotraumatiques avec de 68 à 80% d'états de stress-post-traumatique chroniques - ESPT - (alors que le risque de développer un ESPT après un traumatisme dans la population générale est de 24%), accompagnés d’importants troubles de la personnalité, nécessaires pour survivre, comportant un état de dépersonnalisation, de décorporalisation, de perte d'identité, d'anesthésie émotionnelle et physique, de «robotisation», cf. la thèse du Dr Judith Trinquart à télécharger ici

LES CONSÉQUENCES PSYCHOTRAUMATIQUES SPÉCIFIQUES AUX VIOLENCES SEXUELLES

En cas de violences sexuelle, les victimes ont un risque important de développer des troubles psychotraumatiques chroniques, tel un état de stress post traumatique, risque évalué à 60% en cas d’agression sexuelle, et 80% en cas de viols.

Tous les troubles psychotraumatiques, cf CONSÉQUENCES DES PSYCHOTRAUMATISMES, sont présents avec au moment des agressions une sidération psychique, un état de stress extrême et une disjonction de sauvegarde à l'origine d'une mémoire traumatique. Les reviviscences ultérieures des violences entraînent une grande souffrance et entretiennent un sentiment de danger et d'insécurité permanents, avec mise en place secondaire de conduites de contrôle, d'hypervigilance et d'évitement, et aussi de conduites dissociantes à risques, cf. Magazine de la santé, France 5.

1) Chez l'adulte les troubles les plus spécifiques sont :

les troubles de la sexualité et des conduites sexuelles, les troubles des conduites alimentaires, les conduites à risques ; chez les victimes d'inceste s'ajoutent les troubles de la personnalité (avec une impossibilité de faire confiance, des sentiments de honte et de culpabilité, une très mauvaise estime de soi, une très grande difficulté à contrôler ses émotions) et un risque suicidaire très important (la majorité des victimes d'inceste ont tenté de se suicider).

Pour une victime de violences sexuelles, particulièrement dans l'enfance, la sexualité est un terrain miné par la mémoire traumatique, tous les gestes à connotation sexuelle sont susceptibles d'activer des réminiscences et de générer un état de mal-être, des angoisses, une sensation de danger en fonction des violences subies (par exemple s'il y a eu une pénétration buccale contrainte avec le pénis lors des violences, toute fellation peut devenir impossible dans le cadre d'une relation amoureuse, de même s'il y a eu des baisers forcés lors des violences, tout baiser pendant des relations sexuelles amoureuses consenties est évité. Et si des violences incestueuses ont été commises dans un contexte manipulatoire de caresses, toute caresse, tout préliminaire dans un contexte de rapport sexuel amoureux peuvent là aussi devenir insupportables et seront évités, alors que si les agressions sexuelles ont été extrêmement violentes avec par exemple une pénétration vaginale brutale accompagnée uniquement d'une contention des poignets, puis d'une tentative d'étranglement, des relations sexuelles souhaitées tendres avec des préliminaires seront possibles, mais si le partenaire pendant la relation sexuelle met par jeu ses mains autour du cou ou autour des poignets, cela va entraîner aussitôt une attaque de panique).

Les conduites d'évitement sont une solution, mais quand on veut avoir une vie amoureuse normale il est nécessaire de s'exposer sur le terrain de la sexualité, à moins d'avoir un conjoint qui accepte et qui comprenne qu'il n'y ait pas de possibilité d'activité sexuelle, ou qu'il n'y ait qu'une activité sexuelle très contrôlée et réduite. Cela peut poser malgré tout de gros problèmes si le couple désire avoir des enfants (souvent pour les victimes de violences incestueuses il y a une crainte de la grossesse, de l'accouchement, une crainte d'avoir des enfants et de ne pas être à la hauteur en tant que parent).

Aussi beaucoup de victimes de violences sexuelles vont avoir recours à des conduites dissociantes pour pouvoir quand même accéder à une sexualité. Cela peut être une prise d’alcool ou de drogue avant le rapport sexuel pour se trouver dans un état suffisamment dissocié et anesthésié émotionnellement pour que le rapport sexuel soit possible. Cela peut être le recours avant et pendant les relations sexuelles à des pensées ou à des scénarios hyperviolents, pouvant contenir des scénarios imaginaires de viols, de prostitutions, tellement stressant qu'ils vont déclencher aussitôt une disjonction et créer un état de dissociation et d'anesthésie émotionnelle. Cela peut être le recours à des pratiques sexuelles violentes, sado-masochistes, ou à risque (sans protection avec un risque d'exposition aux maladies sexuellement transmissibles et un risque de grossesse, avec des inconnus, avec des partenaires violents, dans des lieux dangereux, des clubs échangistes, ou dans le cadre de situation prostitutionnelle). Le visionnage de films pornographiques aura le même pouvoir stressant puis disjonctant et anesthésiant (ces conduites dissociantes ont été très bien mises en scène dans des films comme «Belle de jour» de Louis Bunuel et «La pianiste» de Mickael Haneke). Ces pratiques ont un haut potentiel addictif et deviendront compulsives du fait de la dépendance aux drogues dissociantes morphine-like et kétamine-like sécrétées par le cerveau lors des disjonctions provoquées par les conduites dissociantes.

En dehors des relations sexuelles avec un partenaire, les victimes de violences sexuelles peuvent avoir parfois depuis l'enfance des conduites dissociantes sexuelles, seules sur elle-même, en se cachant (les petits enfants peuvent les avoir en public, à l'école), telles qu'une masturbation compulsive, une addiction à la pornographie, des scénarios fantasmés de violences, et des mises en actes de sévices sur elles-mêmes (en reproduisant les violences subies), avec de possibles auto-mutilations. L'addiction au stress est trompeuse, elle peut passer pour une excitation sexuelle, ce qu'elle n'est pas, et la disjonction avec la sécrétion par le cerveau en flash de drogues dissociantes morphine-like et kétamine-like peut être confondue avec un orgasme. Ces comportements, ces pensées, ces pratiques compulsives sont le plus souvent très douloureusement vécues, car ce n'est pas ce que voudraient vivre les personnes, elles ne les comprennent pas et se sentent coupables et honteuses. Les troubles détaillés ci dessous sont donc des conséquences logiques des violences sexuelles.

- a) Les troubles de l'activité sexuelle :

  • soit un évitement de l’activité sexuelle et des rapprochements amoureux, pouvant aller jusqu’à une phobie de l'acte sexuel, un évitement de tout contact, un dégoût pour la sexualité ou pour certaines pratiques habituelles (baiser sur la bouche, pénétration, rapport bucco-génitaux, certaines caresses).
  • soit une difficulté à avoir des rapports sexuels même s'ils sont souhaités, avec une trop grande angoisse, voire des attaques de panique, des nausées, ou bien un vaginisme rendant toute pénétration difficile ou impossible.
  • soit une absence de plaisir lors des rapports sexuels, absence de toute sensation avec une anesthésie corporelle aux niveau des organes génitaux et des zones habituellement érogènes.
  • soit au contraire des conduites d'hypersexualisation, de sexualité à risque ou d'addiction sexuelle

- b) Les conduites d'évitement

Elles sont en rapport avec les violences sexuelles, avec une peur ou une véritable phobie des examens gynécologiques, de la grossesse, des infections urinaires, etc.

- c) Les auto-mutilations (scarifications), les conduites à risques, les tentatives de suicide répétées, les comportements sexuels à risque, avec des risques de contamination, de grossesses non désirés, d'IVG à répétition, et de nouvelles violences sexuelles.

- d) Les conduites addictives : alcool, drogues, tabac, médicaments, jeux.

- e) Les troubles du comportement alimentaire : phobies alimentaires, boulimie souvent accompagnée de vomissements et associée à une anorexie, obésité…

- f) les troubles anxio-dépressifs très fréquents et les troubles graves de la personnalité : personnalité traumatique de type personnalité limite, personnalités multiples ou personnalité asociale.

2) Chez l'enfant les troubles les plus spécifiques sont :

- a) Des comportements sexuels inappropriés : masturbation compulsive, exhibitions, auto-mutilations sexuelles, comportements et des propos sexualisés, dessins et des jeux sexualisés compulsifs, agressions sexuelles sur d'autres enfants.

- b) Un changement brutal de comportement : apparition d'un état d'agitation, de tristesse avec des propos dépressifs, repli sur soi, mutisme, pleurs, mises en danger avec accidents à répétitions, agressivité…

- c) Des symptômes régressifs, avec développement d'une grande angoisse de séparation, réapparition de comportements qui avaient disparu en grandissant comme sucer son pouce, parler bébé, se balancer, faire pipi au lit, avec une perte de l'autonomie…

- d) L’apparition soudaine de comportements de peurs et de phobies, peur du noir, de certains adultes et de certaines situations, peur d'être enfermé, peur de la toilette, d'aller au WC. Il peut également y avoir une phobie sociale, une phobie de l'école, des attaques de panique…

- e) Des douleurs, des lésions et des symptômes génito-urinaires et anaux, des douleurs et des troubles digestifs et alimentaires : constipation, encoprésie (faire caca dans sa culotte), nausées, vomissements, anorexie et/ou boulimie…

- f) Des troubles du sommeil, de la concentration et de l'attention, des troubles cognitifs avec une chute des résultats scolaires, et un arrêt des activités extra-scolaires…

3) chez l'adolescent les troubles les plus spécifiques sont :

- a) Des conduites à risques : nombreuses mises en danger entraînant des accidents à répétition, jeux dangereux, actes de délinquances, violences agies, conduites addictives (alcool, tabac, drogues, jeux internet, sites pornographiques), fugues à répétition, conduites sexuelles compulsives à risque, avec multiplication des partenaires, parfois des inconnus, sans protection, voire des situations prostitutionnelles, grossesses précoces, IVG à répétition, départ précoce du domicile familial, avec un risque élevé de subir de nouvelles violences.

- b) Des conduites auto-agressives : tentatives de suicides répétées, auto-mutilations (scarifications)…

- c) Des troubles de l'humeur, des troubles phobo-anxieux et des troubles de la personnalité : douleur morale intense, idées suicidaires fréquentes, isolement et retrait, comportements de peur et d'évitement phobique, crises d'angoisse, refus de la sexualité, refus de grandir et de devenir adulte, sentiment d'étrangeté, d'être différent et incompris, perte de confiance, mauvaise estime de soi, troubles de la personnalité de type border-line…

- e) Des troubles du comportements alimentaires et des troubles du sommeil (insomnies, réveils nocturnes, cauchemars)…

- f) Des échecs scolaires : phobie scolaire voire abandon scolaire, absentéisme scolaire, troubles de la concentration, de l'attention et de la mémoire.

- g) Des symptômes somatiques fréquents : fatigue chronique, céphalées, cystites à répétition, règles très douloureuses, douleurs pelviennes, ballonnements, nausées et vomissements, palpitations…

Dr Muriel Salmona

Psychiatre - Psychotraumatologue

Responsable de l'Antenne 92 de l'Institut de Victimologie

Présidente de l'Association

Mémoire Traumatique et Victimologie

drmsalmona@gmail.com

www.memoiretraumatique.org

article publié en aout 2010 sur le site memoiretraumatique.org

POUR EN SAVOIR PLUS :http://memoiretraumatique.org/memoire-traumatique-et-violences/violences-sexuelles.html


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