lundi 27 septembre 2010

Mauvais conjoint, bon parent ? Des liens parentaux dans la violence conjugale. article de Sokhna Fall




Mauvais conjoint, bon parent ?

Des liens parentaux dans la violence conjugale.


Article de Sokhna Fall

posté sur le site

http://www.memoiretraumatique.org/

Thérapeute familiale, victimologue, ethnologue

vice-présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie


Lorsque la violence se déclenche dans le couple, l’auteur, clivé, halluciné par sa mémoire traumatique, cesse de voir l’autre parent comme la mère ou le père de ses enfants, parce qu’il ne perçoit plus non plus son enfant comme un être dont il a la responsabilité, auquel il doit secours et protection. Il ne répond qu’à son besoin impérieux d’utiliser l’autre pour apaiser son tourment intérieur. On pourrait dire que l’enfant est, tout autant que son parent victime, instrumentalisé dans le scénario catastrophique que rejoue l’auteur. Si le conjoint joue le rôle de victime des coups et de la violence verbale, l’enfant joue celui « d’un enfant qui a peur pour sa mère (ou son père) », « d’un enfant qui perd sa mère (ou son père) », « d’un enfant qui souffre pour sa mère (ou son père) ».

L’auteur des violences ne peut ignorer l’effet sur son enfant de ces scènes, que l’enfant en soit directement témoin ou pas, d’autant qu’il les a souvent lui-même vécues dans son enfance. Il ne peut prétendre n’avoir pas vu les regards d’effroi, pas entendu les cris de terreur ou pas perçu les tentatives malhabiles de le retenir. Affirmer qu’il ne s’en est « pas rendu compte » revient à reconnaître qu’il est à certains moments totalement incapable d’être conscient de l’existence de son enfant, et à fortiori d’empathie avec lui. Le passage à l’acte de la violence conjugale me paraît bien la révélation d’une défaillance – rarement passagère – des capacités parentales de l’auteur.

Sans compter qu’il n’est pas rare que le prétexte de la violence soit l’intervention du parent victime pour protéger son enfant de méthodes dites « éducatives » brutales et cruelles.

Il me semble, par conséquent, que toutes les situations de violences conjugales portées à la connaissance de la Justice, devraient donner lieu, en plus des actes de procédure pénale, à différentes mesures, impliquant les deux parents, afin de protéger les enfants.


Premièrement, dès la mise en examen de l’auteur, un dispositif protégeant la victime des contacts avec l’auteur y compris lors de l’exercice des droits parentaux, sans attendre les jugements du pénal et du Juge aux Affaires Familiales, devrait être mis en place.

Comme l’a démontré le drame du petit Ibrahima, enlevé par son père (condamné auparavant pour menaces de mort contre son ex-compagne), après que celui-ci a tué sa mère, on pourrait parler de « mise en danger d’autrui » ou même d’« homicide par imprudence », quand une cour juge que l’auteur a « l'interdiction d'approcher son ancienne compagne, en dehors du droit de visite pour récupérer l'enfant ». Un jugement de ce type prend le relais de l’instrumentalisation de l’enfant par l’auteur. Le père d’Ibrahima l’a bien compris, puisqu’il a invoqué le fait qu’il « voulait avoir l'enfant », « qu'en raison d'un conflit parental avec la mère, il ne l'avait pas autant qu'il le souhaitait », « que la mère de l'enfant ne respectait pas suffisamment la décision du juge des affaires familiales », pour justifier sa violence meurtrière (source : http://www.lepost.fr/article/2010/02/17/1946140_il-avoue-avoir-tue-son-ex-compagne-et-enleve-son-bebe-il-dit-et-repete-qu-il-voulait-avoir-l-enfant.html). Le sacro-saint « droit du sang » de la culture juridique française s’est révélé un « droit au sang ». La presse a insisté sur le fait que le père ne respectait pas le contrôle judiciaire puisqu’il se présentait au domicile de la mère en dehors de l’exercice de ses droits parentaux. Mais la décision de justice a autorisé cette transgression en autorisant l’auteur à se rendre au domicile de sa victime. Qu’est-ce qui justifiait que cet homme soit considéré comme dangereux pour son ex-compagne sauf dans les moments où il venait chercher leur enfant ? Est-ce à dire que c’est l’enfant, en l’occurrence âgé de 18 mois, qui devait constituer le rempart efficace à la violence conjugale ? On pourrait presque dire que, par ses transgressions, dont la police et la justice avaient été informées, ce père était plus protecteur que l’appareil judiciaire puisqu’il alertait sur les failles du jugement. Ce dernier a parié ou même « fantasmé », sur le dos fragile de l’enfant et le corps sanglant de la mère, que le mauvais mari ne saurait être un mauvais père, que la grâce de l’amour parental (pourtant inopérante jusque-là) empêcherait magiquement l’auteur de profiter de l’occasion pour s’en prendre de nouveau à sa victime. La mise en danger est d’autant plus flagrante qu’il n’est pas rare que suite à la séparation, les auteurs ne disposent pas de domicile adéquat pour recevoir l’enfant et exercent leur droit de visite au domicile du parent victime, et c’est peut-être pour cette raison qu’il n’avait pas été prévu que ce soit la mère qui amène l’enfant à son père. C’est donc à son domicile, là où elle pouvait penser être en sécurité, que la mère d’Ibrahima a été massacrée près de son fils, avec la complicité d’une décision judiciaire surréaliste.

Sans organiser de façon aussi explicite l’exposition de la victime à la récidive de l’auteur lors de l’exercice des droits parentaux, la plupart des jugements du pénal négligent tout simplement, jusqu’ici, de penser comment s’exerceront ces droits en dépit de l’interdiction de contact. Aux victimes de la violence conjugale de trouver l’organisation qui permettra à l’auteur de rencontrer les enfants sans se sentir ou sentir ceux-ci « trop » en danger. Certaines rechignent à se soumettre à ce qui peut leur sembler se livrer et/ou livrer leurs enfants à un ogre, et prennent le risque de se soustraire à ces décisions de justice (ce qu’avait peut-être effectivement fait la mère d’Ibrahima), donnant ainsi de nouveaux prétextes de violence à l’auteur et s’attirant la réprobation sévère des professionnels qui les accusent alors de « mêler les enfants à leur conflit de couple ». L’auteur, pour sa part, est délibérément mis en difficulté en ces occasions de rencontre, très susceptibles de réveiller en lui une tension dangereuse et de le conduire à rejouer le scénario destructeur d’un cycle de violence. Il peut aussi, de façon banale, se croire autorisé à profiter de ces moments, non pour exercer son rôle parental, mais pour tenter de reconquérir son conjoint. Le vocabulaire de la justice et du secteur social, focalisé sur le « conflit », favorise l’idéalisation de la situation « d’avant » et invite subtilement auteur et victime à se réconcilier alors qu’aucun d’eux n’a eu les moyens de traiter les problématiques complexes qui ont amené la violence de l’un à éclater à l’intérieur de leur relation. La Justice encourage ainsi ce que déplorent à juste titre policiers et travailleurs sociaux; c’est-à-dire, le va-et-vient de la victime dans les bras de son bourreau.

Cette béance des décisions de justice, lorsqu’elle néglige d’organiser de façon protectrice l’exercice des droits parentaux, risque en outre que les enfants soient cette fois instrumentalisés par certains parents victimes, identifiés à l’agresseur, qui peuvent se saisir de l’occasion pour exercer à leur tour un pouvoir sur leur ex-conjoint. Celui-ci, même quand il tente de sortir de la violence, risque fort d’y retomber pour « défendre sa dignité».

La mise en place, immédiate et systématique, lors d’une mise en examen pour violences conjugales d’un dispositif de « lieu neutre », pour l’exercice des droits parentaux, me paraît la seule façon d’éviter réellement que des drames s’ajoutent aux drames et de permettre que les enfants soient protégés de la répétition de scènes traumatisantes. A fortiori, tout jugement comprenant des mesures de protection des victimes, mesures favorisées par la Loi de juillet 2010, ne devrait en aucun cas être contredit, autrement dit symboliquement annulé, par les conditions d’exercice des droits parentaux.


Deuxièmement, si indispensables soient de telles précautions, elles ne paraissent cependant pas suffisantes pour la protection effective des enfants. Il me semble que toutes les situations de violences conjugales devraient conduire les acteurs de la Protection de l’enfance à s’interroger sur les capacités parentales des deux parents. Il faut le répéter, un parent qui commet des violences contre l’autre parent de ses enfants ne peut ignorer qu’il porte atteinte à un facteur fondamental de leur bien-être affectif et psychologique. L’argument couramment avancé qu’il « n’aurait jamais commis de violences contre les enfants eux-mêmes ou en leur présence » paraît irrecevable. On s’indigne, à juste titre, de ces parents qui, après la séparation, disqualifient l’autre parent, voire l’éliminent de la vie de leur enfant ; considérant qu’ils s’attaquent ainsi aux fondements de la famille humaine dont un enfant a besoin pour bien se construire. Dans le cas des violences conjugales, on raisonne trop souvent comme si une tentative de destruction physique d’un parent par l’autre était moins préjudiciable à l’enfant que cette fameuse « aliénation mentale ». Il faut se donner les moyens d’évaluer quelle distorsion du lien parent/enfant a empêché le parent violent d’être en empathie avec son enfant lorsqu’il voit sa mère (ou son père) s’effondrer sous les coups, le visage en sang. Les reprises de contacts entre le parent violent et ses enfants après une condamnation devraient passer par une période de médiatisation des rencontres, voire de thérapie familiale spécifique, afin que le parent violent ne réduise plus son enfant à un élément de la dramaturgie conjugale mais le considère comme l’enfant qu’il est et prenne conscience de la souffrance qu’il lui a infligée. Sans cette reconnaissance minimale, le risque reste élevé que l’auteur continue à piéger l’enfant dans sa violence ou à l’instrumentaliser dans sa relation pathologique avec la victime.

Par ailleurs, il semble qu’il faudrait également évaluer la situation du parent victime. Dans un premier temps pour s’assurer qu’il est correctement protégé, entouré et soutenu pour se remettre de ses épreuves et par conséquent, pas trop envahi par sa propre souffrance pour pouvoir accueillir et soulager celle de son enfant. Ensuite, pour s’assurer que les difficultés personnelles à l’origine de son choix amoureux malheureux (basse estime de soi, liée à des expériences de maltraitance dans l’enfance, par exemple…), renforcées par les chocs traumatiques répétés subis dans le couple, sont en voie de traitement et ne risquent pas de réexposer l’enfant au danger. Il arrive malheureusement que le parent victime soit, comme l’auteur, incapable d’empathie avec son enfant et, au mépris de ses besoins et de ses sentiments de loyauté, attende de lui qu’il le venge ou le soutienne inconditionnellement.

La meilleure façon de prévenir ces dommages supplémentaires pour l’enfant serait, me semble-t-il, que le Juge des Enfants soit saisi systématiquement, au plus tard lors du jugement pénal, pour ordonner rapidement expertises familiales, Investigations d’Orientation Educatives ou toute autre mesure utile pour évaluer la situation de l’enfant et, si nécessaire, le protéger.


Enfin, il pourrait être très profitable, en termes de prévention de la répétition des violences tant au sein du couple concerné que dans le futur des enfants, de prononcer des injonctions de soins, individuels et familiaux.

Au bénéfice de l’enfant, il s’agirait d’évaluer et de traiter le cas échéant les séquelles post-traumatiques consécutives aux violences. Quand leur existence a été mise en danger et si gravement perturbée, les enfants ont impérativement besoin d’une « remise en ordre » symbolique. La Loi, normalement incarnée par les adultes protecteurs responsables de l’enfant, a été mise sens dessus dessous. Il est indispensable qu’elle soit restaurée, les décisions de Justice explicitées, les ressentis d’effroi, de peur, d’abandon et de colère… de l’enfant reconnus et accompagnés. L’enfant doit pouvoir aussi être « dé-parentalisé », être autorisé à ne pas protéger ni prendre en charge ses parents, dans un contexte sécurisé.

Pour l’auteur, l’objectif serait à minima de l’amener à prendre conscience des violences infligées aussi à l’enfant – scènes terrifiantes, peur pour le parent victime, expérience d’abandon émotionnel, s’il n’a été « que » « témoin », ou autres violences s’il a été directement victime en essayant de protéger l’autre parent par exemple.

Pour le parent victime, devrait lui être offerte une aide qui lui permette de soigner ses séquelles post-traumatiques et de se détacher des croyances négatives sur elle-même qui l’ont empêchée de repérer le danger représenté par son conjoint avant que ne se produise l’irréparable.

Au niveau familial, parallèlement, pourraient se mettre en place des entretiens parent victime/enfant(s) qui rendent à chacun sa place ; en désamorçant la « rivalité de victimes » qui peut parfois naître entre eux, en réhabilitant le parent qui, s’il s’est révélé pour l’enfant d’une vulnérabilité jusque là impensable, ne reste pas moins parent responsable de lui et capable de le protéger dans les situations normales ; en rendant son innocence à l’enfant, même si dans le drame, il a pu paraître protéger l’auteur, ou prendre parti, ou être « la cause » des violences, etc.… Plus tard, si une remise en question de ses actes est devenue possible pour l’auteur, le remplacement des visites médiatisées par des entretiens thérapeutiques familiaux parent auteur/enfant(s) devrait permettre d’aller plus loin, si possible, dans la différenciation entre la problématique de l’auteur et celle de ses enfants, pour que la violence agie comme subie devienne clairement, aux yeux de ces derniers, un grave accident de la vie et non un modèle relationnel.


Sokhna Fall, 27 septembre 2010

Thérapeute familiale,
Victimologue, ethnologue,
vice-présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie


mercredi 22 septembre 2010

Colloque « Impacts psychologiques des violences conjugales sur les victimes à Nantes Le lundi 4 octobre 2010

www.memoireraumatique.org
cliquez pour agrandir







une journée régionale de réflexion « Egalité et Familles »


« Impacts psychologiques des violences conjugales sur les victimes »


Le lundi 4 octobre 2010

de 9 h 30 à 17 h

à la Maison des Hommes et Techniques

Rue Léon Bureau - 44000 Nantes


Cette journée est ouverte à l’ensemble des élus-es administrateurs-trices et salariés-ées des CIDFF Pays de la Loire.

Contexte :

En cette année 2010 décrétée « Grande cause nationale de lutte contre les violences faites aux femmes » et à l’heure de l’adoption d’une nouvelle loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, le réseau régional des CIDFF souhaite approfondir sa réflexion en partenariat avec les professionnels-lles directement impliqué-e-s par cette thématique.

Objectif : Permettre aux participantes-ts une meilleure compréhension des victimes (femmes et enfants exposés à ces violences), mieux cerner les raisons de certaines attitudes et de certains comportements en apparence paradoxaux.







PRE-PROGRAMME DE LA JOURNEE

En cours de finalisation


Matin


9 h Accueil des participants-tes


9 h 15 Ouverture par Mr le Préfet de Région (sous réserve) et par

la Présidente de l’UR-CIDFF


9 h 30 Impacts psychologiques des violences conjugales sur les victimes:

Intervention du Dr Muriel Salmona - Psychiatre, Psycho-traumatologue,

Médecin Coordinatrice Responsable de l’antenne 92 Institut de Victimologie

1-Introduction : les violences conjugales : typologie et définition

2-Conséquences de ces violences sur les victimes

  • Sur les femmes et difficultés de prise en charge
  • Retentissements et conséquences sur les enfants

3-Prise en charge de la parentalité par la victime et l’agresseur


11 h 30 : Echanges avec les participants-tes


12 h 45 Repas sur place pour les CIDFF


Après-midi :


14 h Approfondissement des notions à partir des questions des CIDFF

avec Dr Muriel Salmona : programme en cours de finalisation


16 h Conclusion de la journée




Pour rappel :

Matin : Ouverture aux partenaires professionnels directement impliqués dans cette thématique.

Après-midi : poursuite des travaux en interne avec Dr Muriel Salmona


mardi 21 septembre 2010

vidéo intervention au journal du magazine de la santé du 21 septembre 2010 sur la prévention des violences conjugales et sexuelles faites aux femmes

Vidéo de l'intervention de quelques minutes du Dr Muriel Salmona au journal du magazine de la santé de France 5 le 21 septembre pour parler des recommandation de l'OMS sur la prévention des violences conjugales et sexuelles faites aux femmes Prevening intimate partner and sexual violence against women, recommandations qui ont été présentées ce jour lors de la 10 ème conférence mondiale sur la prévention et la sécurité à Londres, le texte des recommandations de l'OMS en anglais est téléchargeable sur le site www.memoiretraumatique.org (dans documents à télécharger), l'OMS insiste particulièrement sur l'importance de la prévention et la prise en charge des violences envers les enfants pour lutter contre les violences faites aux femmes, les maltraitances et les violences sexuelles commises sur les enfants étant le principal facteur de risque d'être à nouveau victime ou de devenir auteur de violences à l'âge adulte.




Cliquez sur le lien pour voir la vidéo





Lors du journal du magazine de la santé du 17 septembre, le site www.memoiretraumatique.org a été cité et a été présenté dans les infos pratiques


mercredi 8 septembre 2010

COMMENT SE PASSE UNE EXPULSION D'UN LOGEMENT EN FRANCE


Voilà comment deux de mes patientes du 93 , des femmes extraordinaires, très courageuses, qui se sont déjà tant battues, ont été expulsées cet été :
JE SUIS RÉVOLTÉE !

La première patiente, mariée elle est mère de 3 enfants, les deux aînés de 9 et 6 ans et le petit dernier de 18 mois, tous nés en France, les parents sont nés à l'étranger, ils ont beaucoup galéré et traversé des périodes difficiles mais ils sont maintenant tous les deux en situation régulière avec une carte de séjour, depuis deux ans le père n'a pas de travail, la mère qui faisait des ménages a dû s'arrêter pour sa dernière grossesse puis pour garder son petit dernier les premiers mois, elle a repris ensuite les ménages, ils n'ont pas pu payer le loyer pendant plus d'un an, d'un logement qu'ils habitaient depuis 6 ans. Le père dépressif et qui s'est mis à boire n'a pas su, ni pu faire toutes les démarches.
Un matin de juillet, vers 9h, la mère est à la préfecture pour sa carte de séjour, le père est à la recherche de travail, la grand mère maternelle qui parle à peine le français garde les enfants, on tambourine à la porte, quand la grand-mère ouvre elle se retrouve devant 3 personnes (un commissaire de police, un huissier et un serrurier), ils se mettent à crier car elle ne comprend rien, elle essaie d'appeler sa fille au téléphone, ils la poussent vers la porte avec les enfants, elle a à peine le temps de prendre quelques papiers et quelques affaires pour les enfants, elle est sur le palier. Le serrurier installe une porte blindée.
Elle n'a rien compris en pleurs elle emmène les enfants dans un square en attendant l'arrivée de sa fille.
Toute la famille va se retrouver dans le tout petit studio de 10 mètres carrés que loue la grand mère, entassée à 6 !
Ils n'ont plus rien tout est resté dans l'appartement où ils ne peuvent plus rentrer, ils m'appellent au secours, au bout de plusieurs coups de fil, j'apprends qu'ils pourront, si l'huissier l'accepte, prendre un rendez-vous pour venir chercher des affaires, ils auront 2 heures pas une minute de plus, pour prendre le maximum d'affaires, sans paniquer, sans oublier le plus important, 2 heures pour déménager un appartement de trois pièces où vivaient 5 personnes, c'est rien … Ma patiente m'explique qu'ils ont lancé un maximum de vêtements et d'objets par la fenêtre pour aller plus vite, et après, il va falloir stocker ce peu d'affaires, mais où ? le studio est bien trop petit ! Et c'est la galère pour trouver des connaissances qui accepteront de garder le peu qu'il leur reste. Elle pleure…
Et quand je demande à un employé de la préfecture ce qui va être fait de tout ce qui reste dans l'appartement, il me répond que cela va être mis aux enchères, et que tout ce qui ne sera pas vendu sera donné à Emmaus !!!!
Je fais actuellement des pieds et des mains pour qu'un logement leur soit attribué, la rentrée s'est faite, les enfants de 6 et 9 ans ont fait leur rentrée dans leur école malgré tout, mais ils logent très loin, ils ont plus d'1h de trajet en bus pour y aller…
Ils mettent à la rue des enfants dont un de 18 mois !!!!!!



La deuxième patiente, une femme qui a vécu les pires violences dans son enfance, abandonnée et élevée par une tante en Afrique, elle a été enlevée à 7 ans, emmenée en France, on lui a changé son nom, et elle a été utilisée comme esclave, elle subira pendant toute son enfance des incestes, une grande maltraitance, des séquestrations. Elle est en couple avec une fille de 12 ans, du fait de troubles psychotraumatiques très importants, elle ne peut pas travailler, elle a une phobie sociale totale, elle ne peut pas sortir, depuis quelques années tout son passé de violences est remonté (en lien avec l'âge de sa fille), et elle vit dans la terreur avec des réminiscences continuelles et de nombreux cauchemars, personne ne s'est jamais occupée d'elle mis à part son compagnon, aucun médecin jusque là ne l'a comprise, elle vient me voir depuis début mai, elle est très soulagée de pouvoir enfin parler, et d'avoir des outils pour qu'elle comprenne ses symptômes, ce qu'elle ressent, je la traite pour qu'elle puisse enfin dormir.
Elle me parle d'une menace d'expulsion qui la terrorise, son appartement est le seul endroit où elle se sent un peu en sécurité, ils ne s'en sortent plus financièrement, elle ne touche aucune aide, elle n'a jamais pu travailler. Je lance un dossier MDPH en urgence pour qu'elle puisse avoir une allocation adulte handicapée, je demande un 100% pour ses soins que j'obtiens aussitôt, je fais des certificats pour expliquer sa situation pour qu'ils obtiennent un sursis pour l'expulsion, ils sont bien suivi par une association pour le logement. Quand je pars en vacances en août je suis rassurée, tout est en place, normalement un sursis est obtenu.
Au mois d'août, elle m'envoie un texto :" bonjour, vous êtes en vacances excusez-moi de vous embêter, ça s'est passé ce matin comme dans mes cauchemars, ils sont venus ce matin me sortir de mon lit. Je suis dehors sans rien et même pas une brosse à dent. Le policier m'a menacé. L'huissier m'a fait croire que j'allais rentrer plus tard chez moi. Même au 115 il n'y a rien pour nous. Bonne vacances je voulais vous tenir au courant" Le commissaire n'a rien voulu savoir quand il lui ont dit qu'ils avaient un sursis, il a dit sortez, nous vérifierons si c'est vrai et vous pourrez réintégrer votre appartement, mais en fait quand la préfecture confirmera pour le sursis on leur dira que c'est trop tard que le bailleur a supprimé le sursis du fait de l'expulsion ! Le femme huissier se vantera d'avoir expulsé une femme handicapée la semaine précédente… le serrurier posera la porte blindée…
Ils se retrouvent à la rue et ils n'ont aucune famille ici. La première nuit il la passeront dans une cage d'escalier, la DASS leur proposera ensuite une chambre d'hôtel pendant 3 nuits puis plus rien, la rue à nouveau, le SAMU social on ne peux le contacter qu'à partir de 17h, puis elle pourra être hébergée avec sa fille dans une famille accueillante d'immigrés haïtiens où vivent déjà 13 personnes, dans des conditions très difficiles…, son compagnon, lui, restera à la rue et il ira travailler tous les matins après avoir dormi dans un square, ils n'ont même pas de quoi se changer, rien et le contact avec l'huissier et le gardien de l'immeuble est très difficile pour arriver à obtenir un rendez-vous pour aller chercher des affaires, leur fille va vivre avec sa mère dans ce petit appartement surpeuplé, dans une commune très éloignée de son collège, sans ses affaires scolaires…
Je passe de nombreux coups de fil, Ernestine Ronai de l'observatoire, alors qu'elle est en vacances est très disponible et sympa, elle m'oriente, des aides arrivent, d'élus super, des lettres officielles partent immédiatement pour demander au bailleur de leur permettre de réintégrer leur appartement, mais lui prend son temps, ne répond pas, puis après une réunion dit qu'il donnera une réponse dans trois semaines… Ma patiente va de plus en plus mal elle ne mange presque plus, elle et lui ont perdu plusieurs kg, ils ne sont plus que l'ombre d'eux-même …
Finalement ils obtiendront seulement 1 h pour rentrer dans l'appartement, son mari accompagné par l'huissière ira tout seul pour prendre quelques affaires, elle n'est pas en état de l'aider, elle ne sort que pour venir me voir, elle me dit "il était tout seul, on va perdre tous le reste de nos affaires"… s'il n'y avait pas sa fille, elle me dit qu'elle n'aurait pas la force de continuer, elle fait des cauchemars atroces toutes les nuits… et son mari "dort" toutes les nuits dans le square…Nous en sommes là…

Dr Muriel Salmona

LE SITE DE L'ASSOCIATION MÉMOIRE TRAUMATIQUE ET VICTIMOLOGIE S'EST ENRICHI DE NOUVELLES PAGES

LE SITE DE L'ASSOCIATION MÉMOIRE TRAUMATIQUE ET VICTIMOLOGIE
S'EST ENRICHI DE NOUVELLES PAGES
VISITEZ-LE


ET TOUTES VOS SUGGESTIONS ET COMMENTAIRES
SERONT LES BIENVENUS !
La page : la parole aux lecteurs vous est dédiée
Si vous voulez témoigner, réagir, partager des informations, des recherches, un savoir faire, n'hésitez pas, envoyez vos textes à
drmsalmona@gmail.com
ou memoiretraumatique@gmail.com



cliquez sur l'image pour agrandir
exemple de pages